Après la parution du premier volume de sa série, "Les Griots Célestes", et avant "Kaena", roman jeunesse paru chez Mango , Pierre BORDAGE a accepté de répondre aux questions de Yoann BERJAUD du site de sciences-fiction "Le Cafard Cosmique".
A noter également que "Kaena" [cf. illustration du roman] est également un film, le premier film européen entièrement en images de synthèse, qui est sorti en juin 2003.
BORDAGE a collaboré avec Alexandro JODOROWSKI sur ce projet ambitieux qui a été sélectionné pour le festival de Cannes 2003.
Pierre BORDAGE, dans vos récits l’être humain est menacé par une
société écrasante qui cherche à le dominer complètement. S’agit-il pour
vous d’un constat de la situation mondiale actuelle ?
Il y a toujours eu des tentatives de prise de contrôle de l’esprit
humain, c’est une tendance cyclique dans notre histoire.
A chaque fois qu’apparaissent des esprits novateurs, des gens qui apportent
un message pour libérer l’homme, le renvoyer à lui-même, faire en sorte
qu’il évolue, des forces politiques, sociales ou bien religieuses
les contrecarrent. Par la suite ces mêmes paroles libératrices
sont reprises, déformées, dévoyées, utilisées comme instruments de contrôle
de l’esprit humain. Aujourd’hui, les outils de domination sont d’autant
plus puissants, qu’on pourra bientôt utiliser des leviers intimes
comme l’ADN, ou toucher un grand nombre de personnes
avec le réseau informatique. Face à cette problématique, je conduis mes héros
à développer leur part spirituelle, à retrouver leur force intérieure
qui les rend incontrôlables.
Dans vos premiers ouvrages, les personnages secondaires affrontent
souvent un destin tragique.
A contrario, dans votre dernier livre, Griots Célestes, ils jouent un rôle positif,
énergique. Comment expliquez-vous ce tournant ?
Cela fait sans doute partie de mon évolution personnelle,
j’avais peut-être un jugement excessif sur la faiblesse des êtres humains et
finalement j’ai découvert que ce n’était pas à moi de les juger.
Comme les Griots Célestes qui apprennent le non jugement car c’est
la condition de leur survie. Il y a un danger dans la quête spirituelle
qui est de se sentir supérieur aux autres. Le but n’est pas de devenir parfait,
mais de s’accepter tel que l’on est, d’apprendre à se connaître soi-même,
à s’explorer avec amour. Celui qui se regarde lui-même avec compassion,
avec tolérance, peut enfin comprendre les autres.
Le cycle des, Griots Célestes tient-il une place spécifique dans votre œuvre ?
Ce n’est pas par hasard, si je suis en train d’écrire le cycle
des Griots Célestes qui relate l’histoire d’une caste de messagers,
de porteurs du Verbe sacré. Je me suis aperçu qu’il s’agissait d’une sorte
de bilan après dix ans d’activité de passeur d’histoires.
Que représente pour vous l’acte créateur ?
C’est une aventure poignante, il y a d’abord de l’enthousiasme,
une sorte de feu, le feu créateur, puis il y a de la douleur car pour passer
de la conception à la réalisation, passer du non-matériel au matériel,
on subit des frottements. Je traverse tous les états lorsque j’écris,
la joie, le découragement. Je crois que l’écriture, beaucoup plus que
l’expression orale, nous met en contact avec l’inconscient.
L’écrivain découvre des zones de lui-même qu’il n’avait pas forcément envie de
rencontrer. Cette espèce d’interface qu’est l’écriture est finalement
quelque chose de très difficile à maîtriser.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
C’est une imprégnation de beaucoup de choses, lectures, voyages,
rencontres, discussions, une alchimie de tout cela,
c’est un peu le fruit de ce que je suis en tant qu’être humain.
Est-il toujours facile de trouver l’inspiration ?
J’aimerais bien vous dire que j’atteins souvent l’état que l’on appelle
la transe où l’écriture coule, où l’on se sent source
mais cela arrive hélas rarement.
J’essaie de travailler dans un état de grande réceptivité, je laisse le livre s’écrire à travers moi.
En vérité, j’écris spontanément, sans faire de plan et au fur et à mesure
l’histoire trouve sa propre cohérence. Je me lance à chaque fois dans le
vide, c’est un acte de confiance constante envers l’inspiration.
Quelle est la responsabilité d’un auteur vis- à-vis de son public ?
A mon avis elle est très grande, je ne ferais pas ce métier si je
n’avais pas l’impression d’apporter quelque chose de positif à mes
lecteurs.
Pensez-vous que vos livres ont une influence, une sorte de pouvoir de
faire changer le cours des choses ?
Je ne sais pas sincèrement si mes livres ont un réel impact,
mais c’est en tous cas cet espoir là qui me porte
et m’encourage à poursuivre mon travail.